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La rêverie du poète, c'est l'ennui enchanté - Sainte Beuve
7 juillet 2009

Divagations surréalistes et argentines

Un des derniers sujets étudiés au cours de mes recherches, le Surréalisme. Moi qui ne m'intéressais pour ainsi dire pas à la littérature du XXème... Encore que le Surréalisme ne soit certainement pas le mouvement le plus touchant du siècle ; mais il est certainement le plus captivant, le plus passionnant. Si tant est qu'il y ait eu d'autres mouvements littéraires bien définis au XXème. Enfin bref.

Depuis quelques temps, je suis adepte de la littérature audio ; qui permet de vivre constamment dans les livres – la plupart du temps, grâce au papier, et lorsque ce n'est pas possible, grâce à mes écouteurs, sur le chemin de la gare, le soir quand mes yeux sont trop fatigués, le matin en me réveillant et en me préparant... ô bonheur ! Et je vous assure qu'on n'y perd rien ; j'ai mis longtemps à accepter l'idée qu'un livre audio puisse être aussi bien qu'un livre qu'on lit soit même, mais bien forcée de le constater. Toujours est-il qu'entre deux épisodes « Montaigne », j'ai écouté Nadja. Dans le train pour Paris d'ailleurs.

Qu'en dire alors ? J'ai aimé, beaucoup aimé. Mais encore une fois, c'était inévitable. Nadja représente elle aussi l'absolu. Cette femme qui erre, sans contraintes, libre ; qui se guide à l'instinct, qui n'hésite pas à parler aux inconnus, qui s'arrête devant des grilles bouleversée par ce qu'elles représentent et par une intuition qui veut que l'une des clés de l'existence s'y trouve... à demi folle, oui elle est vraiment un absolu remarquable. Je ne pouvais qu'être fascinée. Comme Hyde repousse violemment la vie, elle en est l'exaltation ; et en subit les conséquences puisqu'elle finit internée.

Nadja a été publié en 1928. En l'écoutant, je n'ai pu m'empêcher de penser à la Sybille de Cortázar, dans Marelle, livre publié quant à lui en 1963. Il ne serait d'ailleurs pas si étonnant que Cortázar se soit inspiré de Breton ; même univers parisien (du moins pour une partie du livre), une atmosphère relativement semblable, des personnages féminins ressemblant. La Sybille qui parcourt les rues de Paris avec acharnement, sans démordre de sa conviction de devoir trouver un morceau de ruban rouge quelque part, par terre, et qui ne rentrera pas avant de l'avoir trouvé ; Nadja qui s'arrête devant la fenêtre d'un immeuble, persuadée qu'elle deviendra rouge quelques instants plus tard, toute sombre qu'elle est pourtant, et qui ne s'en ira pas avant d'avoir vu apparaître des rideaux rouges...

Après avoir vanté rapidement les mérites du livre de Breton, je peux donc passer à celui de Cortázar. Mais quant à en faire l'éloge correctement, je ne pense pas pouvoir y parvenir. J'ai lu Marelle il y a un an, je le relirai dans le mois. C'est un livre qu'il faut connaître, vraiment. Il surprend toujours par sa forme, puisqu'il peut se lire d'une quasi infinité de façons – dont deux sont cependant particulièrement recommandées. On peut le lire comme un livre normal, et finir au chapitre 56. On peut le lire en commençant au chapitre 73 ; et suivre ensuite l'ordre des chapitres indiqués (73 ; 1 ; 2 ; 116 ; 3 ; 84, etc.). Et on peut le lire dans n'importe quel ordre. Peu importe. Chaque chapitre a sa particularité et son indépendance. L'histoire... c'est une histoire d'amour entre Horacio et la Sybille, idylle peu commune à l'image de leurs protagonistes... mais ce n'est pas une vraie histoire, elle est par trop décousue ; on ne sait même avec certitude que tard que les deux personnages s'aiment d'un amour fou, et finalement, peu importe. Le texte transporte, il est littéralement magique. On vit tout par les personnages, et plus encore ; on ne fait pas que les suivre, on habite avec eux ; on rit, on pleure, on s'exalte, on s'angoisse, on se dégoûte, on s'emporte, on aime passionnément... et le tout presque simultanément. Je me rappellerai toujours du chapitre 34, bien que ça puisse paraître un peu... lieu commun, cliché ; Cortázar y imbrique deux pensées simultanées, celle qui se remémore la vie d'Horacio, et l'autre qui aime la Sybille, et chacune parle tour à tour, sur une ligne en alternance. Je me rappelle qu'en le lisant j'étais restée scotchée sur mon canapé, bouleversée au sens le plus fort du terme, en état de choc ; je n'arrivais même plus à lire. J'ai lâché le livre, complètement hébétée, quelques minutes le temps de me remettre, puis j'ai ré-entrepris la lecture du chapitre ; mais j'ai mis plusieurs semaines à m'en remettre parfaitement. Mais enfin on ressort du livre... avec une espèce de sentiment de frustration ; on sait qu'on devra le lire, le relire encore et encore, que jamais on ne pourra l'avoir vraiment achevé. C'est encore un lieu de commun de dire ça pour un livre, mais je crois que ça s'applique vraiment à la lettre pour Marelle.

Ce qui me fait penser d'ailleurs à autre chose, en rapport direct ; ce livre est à lire, à relire indéfiniment, comme tout livre véritablement œuvre littéraire. Il est de toute façon construit d'une telle façon qu'il ne peut avoir de fin, qu'il est toujours à compléter ; exactement comme concevait Mallarmé son Livre, son « Grand Œuvre ». Celle qui devait révolutionner la littérature, voire l'art dans son ensemble, une œuvre totale. Il avait prévu de la constituer notamment de feuillets mobiles ; ainsi le Livre pouvait se lire dans n'importe quel ordre, révélant d'autres beautés et vérités à chaque nouvelle lecture... le livre matériel autant que la volonté du lecteur étaient impliqués, et l'œuvre était accomplie : éternelle puisque inépuisable, et vivante par son éternité et par l'implication du lecteur. Difficile oui vraiment de ne pas établir de lien entre l'œuvre rêvée du poète et l'œuvre bien réelle de Cortázar. Je n'irais tout de même pas jusqu'à dire que Marelle est une « œuvre totale », ni qu'elle ait un prestige aussi important que l'œuvre hypothétique de Mallarmé – ne serait-ce que parce qu'elle est née. Celle de Mallarmé visait trop haut, n'aurait jamais pu être créée matériellement sans perdre la moitié de sa valeur théorique. Toujours est-il que Marelle est un livre véritablement excellent, et il est d'ailleurs étonnant qu'il ne soit pas plu connu.

***

« Le grand roman, le roman-nature, […] c'est de la vie, je veux dire quelque chose qui change et quelque chose qui dure. Le vrai roman n'est pas composé, […] il est déposé, déposé à la façon d'une durée vécue qui se gonfle et d'une mémoire qui se forme. »

(Thibaudet)

« On peut ouvrir le livre où l'on veut : sa vitalité ne dépend point de ce qui précède ; elle tient à ce qu'on pourrait nommer l'activité propre du tissu même de son texte. »

(Valéry à propos de l'œuvre de Proust)

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